Le phénomène de la « neige melon d’eau »
Dans les régions polaires ainsi qu’en haute montagne, on observe des étendues de neige de couleur rose, orange et rouge. Il s’agit d’un phénomène appelé watermelon snow (« neige melon d’eau ») ou « sang des glaciers ». Pourtant, ces scènes inhabituelles ne sont pas le résultat de taches de sang ni de la décomposition de fruits d’été. Il suffit de regarder de plus près au microscope pour découvrir ce qui est à l’origine de cette coloration : l’organisme responsable de cette soi-disant « neige melon d’eau » est une espèce d’algues vertes appelée Chlamydomonas nivalis.
Bien que l’on en sache relativement peu sur ces « algues de neige », la Chlamydomonas nivalis suscite beaucoup d’intérêt, servant d’organisme modèle dans les recherches sur l’adaptation au froid. En effet, cette espèce d’algues psychrophiles est capable de proliférer et de survivre dans des conditions de froid extrême; c’est donc pourquoi elle peut résister à des températures frôlant le point de congélation. La Chlamydomonas nivalis s’adapte, en fait, à une multitude de conditions météorologiques, ce qui lui permet de prospérer malgré les stresseurs environnementaux liés au froid rigoureux des régions polaires. En outre, la Chlamydomonas nivalis se distingue par ses deux cycles de vie. En hiver, sous la couverture neigeuse, ces algues prennent l’aspect de spores rouges sphériques. Au printemps, avec la fonte de la neige, ces spores germent et donnent naissance à des cellules vertes flagellées, qui permettent aux algues de se déplacer. En été, toutefois, le soleil et ses rayons UV peuvent devenir un ennemi pour les algues. Afin de se protéger contre la déshydratation, la Chlamydomonas nivalis produit des caroténoïdes qui permettent d’absorber une partie des radiations solaires. La pigmentation verte (chlorophylle) des algues vire alors au rouge au fur et à mesure que s’accumulent les caroténoïdes.
En dépit du nom charmant que l’on donne à ce phénomène et du fait qu’il semble inoffensif, on ne doit pas faire fi de ses répercussions sur le réchauffement planétaire. Alors que la Chlamydomonas nivalis produit des caroténoïdes afin de résister à des niveaux élevés d’irradiation, la pigmentation plus sombre qui en résulte a des conséquences négatives sur l’albédo de la neige. L’albédo est le pouvoir qu’ont certaines surfaces de réfléchir les radiations lumineuses. Ainsi, plus l’albédo est élevé, plus la surface réfléchira les rayons du soleil, et vice versa. Par conséquent, l’accumulation de caroténoïdes, qui rend la neige plus foncée, en diminue l’albédo. Une réduction du pouvoir réfléchissant des surfaces accélérera la fonte de la neige et de la glace, ce qui, éventuellement, pourrait hâter le retrait des glaciers. En fait, on a constaté que le phénomène de « la neige melon d’eau » pouvait entraîner une diminution allant jusqu’à 20 % de l’albédo de la neige, ce que les spécialistes appellent l’effet « bio-albédo ».
Cette situation crée donc un précédent qui force les scientifiques à mener des études plus poussées sur les espèces d’algues de glace et de neige, car ces minuscules organismes ont des conséquences énormes sur l’albédo. Des scientifiques proposent même que l’effet « bio-albédo » soit pris en compte dans les modèles climatiques. Alors que l’Arctique se réchauffe à un rythme sans précédent, nous devons explorer toutes les facettes de la vie, aussi banales soient-elles, afin d’éviter que cet environnement vaste et unique ne subisse d’autres changements.
Julia Macpherson, Coordonnatrice des communications scientifiques
Références
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Lutz, S., Anesio, A., Raiswell, R. et al. The biogeography of red snow microbiomes and their role in melting arctic glaciers. Nat Commun 7, 11968 (2016). https://doi.org/10.1038/ncomms11968
Peng Z, Liu G, Huang K. Cold Adaptation Mechanisms of a Snow Alga Chlamydomonas nivalis During Temperature Fluctuations. Front Microbiol. 2021 Jan 11;11:611080. doi: 10.3389/fmicb.2020.611080. PMID: 33584575; PMCID: PMC7874021.
Lutz, S., Anesio, A. M., Field, K. J., & Benning, L. G. (2015). Integrated ‘Omics’, targeted metabolite and single-cell analyses of Arctic snow algae functionality and adaptability. Frontiers in Microbiology, 6. https://doi.org/10.3389/fmicb.2015.01323