Le camp de Marralik Ungunniavik : jeter un pont entre les connaissances autochtones et la recherche scientifique pour renforcer l’autonomie des jeunes du Nunavik
En 1986, Pêches et Océans Canada a interdit la chasse au béluga dans une région située au sud de la baie d’Ungava (Nunavik, au Québec) afin d’assurer la sauvegarde d’une population unique de bélugas passant l’été dans la baie. Près de 30 ans plus tard, le savoir inuit ne considère pourtant pas le béluga comme une espèce unique à cette région, mais estime plutôt qu’il est originaire des populations observées dans le détroit d’Hudson. Soulevant le besoin particulier de mieux comprendre la situation liée à la sauvegarde de ces baleines et leurs déplacements, James May, président de l’Anguvigaq, aussi appelée Regional Nunavimmi Umajulirijiit Katujiqatigininga (RNUK) ou Association des chasseurs, des pêcheurs et des trappeurs du Nunavik (ACPTN), jugeait nécessaire d’accroître la recherche sur le béluga et la surveillance de ses déplacements dans la baie d’Ungava.
James a donc proposé au Nunavik Marine Region Wildlife Board (Conseil de la faune de la région marine du Nunavik) d’établir un camp destiné à l’observation des bélugas. C’est ainsi que lui et ses collègues de la RNUK ont créé, à l’estuaire de Marralik Ungunniavik, un camp gratuit pour les jeunes Inuits et Inuites de Kangiqsualujjuaq et Kuujjuaq, les deux collectivités situées le long de la rive sud de la baie d’Ungava. Chaque année, le camp est exploité pendant trois semaines en juillet, soit la période durant laquelle on devrait retrouver des bélugas dans la baie d’Ungava. Les jeunes de 13 à 17 ans qui s’y inscrivent sont répartis sur les trois semaines, ce qui permet à plus de jeunes d’y participer, étant donné que l’initiative suscite un vif intérêt chez les jeunes de la région et que la capacité d’accueil est limitée. Pendant leur séjour au camp, les jeunes sont entourés de guides, de guides adjoints, de cuisiniers, d’Aînés et de chercheurs contribuant à leur apprentissage.
Depuis que James a formulé sa demande initiale pour que l’on augmente la surveillance des bélugas, le camp a évolué et offre maintenant une formation en recherche aux jeunes Inuits et Inuites afin de promouvoir leur autodétermination. Cette recherche étant axée sur les populations de bélugas de la baie d’Ungava, le camp est une conséquence directe du projet de James sur le béluga dans l’estuaire de la rivière Marralik, financé par ArcticNet. Des chercheuses et chercheurs qui ne sont pas d’origine inuite, dont Philippe Archambault, codirecteur scientifique d’ArcticNet, ont déjà participé au camp afin d’y donner une formation aux jeunes Inuits et Inuites sur diverses compétences techniques en recherche, telles que l’utilisation d’hydrophones pour la surveillance acoustique. Il s’agit d’une technique particulièrement importante, car elle permet de détecter les bélugas même si le couvert de glace de mer est lourd et s’il est difficile, voire parfois impossible, de détecter visuellement ces grands mammifères marins.
L’objectif du camp de Marralik Ungunniavik est d’exploiter et de partager le savoir inuit tout en menant des recherches et en acquérant des compétences en la matière – un autre avantage de la participation des jeunes au camp. Outre l’acquisition de compétences en recherche, le camp est une chance unique pour les jeunes d’apprendre à chasser le béluga. Parce que la chasse au béluga a été interdite dans la baie pendant près de 30 ans, beaucoup de jeunes ont été privés de cette occasion. Heureusement, parallèlement à l’établissement du camp, on a élaboré un nouveau plan quinquennal de gestion du béluga. On a alors accepté que les collectivités présentent un plan de chasse au Conseil de la faune de la région marine du Nunavik, ainsi qu’à Pêches et Océans Canada, permettant la pratique d’une chasse limitée. La chasse au béluga est extrêmement importante pour les Inuits du Nunavik, puisque le béluga est une source d’alimentation fondamentale pour les familles et les collectivités. Au camp, les jeunes apprennent à chasser, à préparer les aliments et à couper la viande; la capture du premier béluga ou du premier phoque est donc un moment crucial dans la vie des jeunes. Le béluga n’est toutefois pas la seule espèce chassée dans la baie; l’omble chevalier, le varech et l’oie sont aussi des sources d’alimentation primordiales.
[traduction] « L’objectif principal est de former les Inuits de sorte qu’ils puissent eux-mêmes mener les recherches. Quiconque travaille avec nous doit être bien au fait de cet objectif, et doit participer à la formation et reconnaître que nous enseignons différentes techniques et compétences permettant de réaliser des recherches de manière plus autonome. » – Mikhaela Neelin, coordonnatrice générale de l’ACPTN (RNUK/Anguvigaq)
Somme toute, le camp permet aux gens de se regrouper, ce qui favorise la mise en commun des connaissances inuites et scientifiques. Les jeunes Inuits et Inuites, et toute autre personne qui y participe, y découvrent comment fonctionne la recherche et pourquoi le savoir inuit est si important. Chaque jour, un transfert des connaissances s’effectue entre les jeunes, les Aînés, les guides et les chercheurs dans le cadre d’ateliers portant sur l’enseignement de compétences essentielles à la réalisation de recherches dans l’Arctique, telles que la formation en secourisme, le kayak, l’échantillonnage de l’ADNe, la réalisation d’observations, et bien d’autres. Axé sur la formation et la participation des jeunes, ce camp leur permet de poursuivre l’exploitation durable du béluga, d’acquérir les compétences nécessaires pour contribuer à la recherche de manière autonome et d’explorer de futures carrières en sciences. Cette initiative a d’ailleurs abouti à un résultat remarquable à la réunion scientifique annuelle d’ArcticNet en 2022, alors que Christina Uquutaq Lock, une étudiante de niveau secondaire ayant participé au camp de Marralik Ungunniavik, a remporté le prix de la meilleure affiche inuite, commandité par l’Inuit Tapiriit Kanatami, pour son affiche intitulée Sharing Inuit and Scientific Knowledge to Promote Change in Wildlife Health and Management (Partager les connaissances inuites et scientifiques pour améliorer la santé et la gestion de la faune) qu’elle a pu créer grâce aux compétences qu’elle a acquises au camp.
[traduction] « Je me suis rendu compte, dans le cadre de mon travail à la RNUK, que beaucoup de jeunes souhaitent devenir pilotes, infirmières, mécaniciens, etc., mais que presque personne ne s’intéresse à la biologie ni à d’autres secteurs du genre. J’ai donc pensé qu’il était vraiment important d’amener les jeunes à s’intéresser à la gestion de la faune, à la recherche sur la faune, parce qu’il s’agit d’un aspect très important de la vie quotidienne des Inuits. » – James May, président de l’ACPTN (RNUK/Anguvigaq)
À ArcticNet, nous travaillons ensemble à favoriser la participation des Inuits aux processus scientifiques, à promouvoir l’autodétermination des Inuits en recherche et à former la prochaine génération de spécialistes de la recherche sur l’Arctique. Le camp de Marralik Ungunniavik est une démonstration exceptionnelle de l’habilitation des jeunes Inuits et Inuites du Nunavik à protéger leurs droits de récolte et à apprendre à réaliser des recherches de manière autonome, en collaboration avec d’autres personnes. On ne peut faire fi de l’importance que revêtent pour la science les milieux comme celui-ci qui favorisent le transfert des connaissances et l’apprentissage. C’est pourquoi ArcticNet est immensément fier de cette initiative et continuera d’appuyer les projets comme le camp de Marralik Ungunniavik.
Auteure: Julia Macpherson, Coordonnatrice des communications scientifiques, ArcticNet