Des solutions durables en matière d’énergie et de sécurité alimentaire dans les stations de recherche du Nord
Les stations de recherche du Nord présentent des possibilités uniques pour les chercheurs et les chercheuses en sciences naturelles et sociales qui souhaitent s’imprégner des réalités nordiques pour mener leurs travaux. Elles sont également équipées du matériel et des ressources nécessaires, c’est-à-dire de locaux, de laboratoires, de techniciens et techniciennes, de services de location d’équipement et de systèmes de technologie ultramodernes, pour optimiser et faciliter les activités de recherche. Cependant, comme c’est le cas dans la grande majorité des régions nordiques, la sécurité alimentaire et l’accès à des sources d’énergie propre peuvent parfois constituer des défis pour les stations de recherche éloignées.
Dans le nord du Canada, en raison de l’absence d’infrastructures propices à la réalisation de projets d’énergie renouvelable, la plupart des régions utilisent le diesel ou les combustibles fossiles pour combler leurs besoins en chauffage et en électricité. De même, l’insécurité alimentaire qui frappe les régions éloignées, combinée aux coûts élevés du transport et de l’entreposage des aliments périssables, continue d’avoir des répercussions négatives sur les collectivités nordiques. Bien que le gouvernement du Canada ait mis en place divers mécanismes, tels que le Fonds des infrastructures alimentaires locales et le programme Énergie propre pour les collectivités rurales et éloignées, pour s’attaquer à ces enjeux et tenter d’y trouver des solutions, des stations de recherche nordiques ont décidé d’elles-mêmes de trouver des moyens de résoudre les problèmes d’insécurité alimentaire et d’accès à des sources d’énergie propre. Nous présentons donc, dans cet article, les solutions durables mises en œuvre par deux importantes stations de recherche situées dans le nord du Canada : la station de recherche du lac Kluane et le Centre d’études nordiques de Churchill.
Station de recherche du lac Kluane
La station de recherche du lac Kluane (SRLK) est exploitée par l’Institut arctique de l’Amérique du Nord (basé à l’Université de Calgary), qui en est également propriétaire. Située au nord-ouest de Whitehorse, la SRLK occupe les terres traditionnelles des Premières Nations de Kluane, de Champagne et d’Aishihik, et de White River. Depuis 1961, des équipes de recherche provenant de tout le Canada y réalisent des travaux dans de nombreux domaines, notamment en glaciologie, en géomorphologie, en biologie et en botanique. Aux fins du présent article, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Kristina Penn, gestionnaire des opérations à la station de recherche et candidate au doctorat à l’Université de Calgary, au sujet des mesures mises en place par la station en matière de développement durable. Kristina m’a expliqué que la SRLK s’efforce de laisser une empreinte environnementale positive en réduisant la pollution sonore, la consommation de diesel et les émissions de carbone. Désireux également d’améliorer la durabilité des opérations à la SRLK, M. Henry Penn, Ph. D., qui occupait auparavant le poste de Kristina, a compris les défis que représentait l’installation de technologies innovatrices en régions éloignées. C’est pourquoi il a mis en œuvre le projet Ag1054 dans les domaines de l’hydroponie et de l’agriculture en conteneur.
L’hydroponie consiste à faire pousser des plantes sans terre. Les nutriments naturellement présents dans le sol sont remplacés par une solution nutritive qui, dans un environnement hautement contrôlé, permettra de cultiver des produits sans pesticides ni produits chimiques. Afin de préserver cet « environnement hautement contrôlé », les plantes sont cultivées dans l’installation de production alimentaire hydroponique Ag1054, un système agricole permettant de cultiver des produits toute l’année. Équipée de systèmes d’approvisionnement en eau, d’énergie solaire, de chauffage et de protection contre les rigueurs du climat subarctique, l’installation permet de cultiver des produits dans des conditions environnementales difficiles.
Le projet Ag1054 consiste également à cerner les expériences et les défis que vivent les populations éloignées, ainsi qu’à en faire rapport, afin que les collectivités et les autres organismes de recherche qui souhaiteraient exploiter une installation semblable en soient mieux informés. Il s’agit donc d’un projet exhaustif visant à mettre le système à l’essai, à prendre des notes et à diffuser les résultats auprès des collectivités. L’installation Ag1054 permet actuellement de cultiver une grande variété de légumes-feuilles et d’herbes, tels que la coriandre, l’aneth et la laitue, entre autres. La plupart des produits qui y sont cultivés sont récoltés, puis expédiés à des entreprises de la région, à des marchés fermiers et aux collectivités locales, alors que le reste est racheté par la SRLK. En effet, bien qu’elle soit exploitée à la SRLK, l’installation Ag1054 est gérée séparément par des membres des collectivités embauchés par les responsables du projet.
En outre, presque en même temps que l’on acquerrait le projet Ag1054 en 2020, on installait à la SRLK 128 panneaux solaires qui, utilisés parallèlement à un banc de batteries au plomb-acide, allaient permettre à l’installation Ag1054 de fonctionner à l’énergie solaire. Étonnamment, ces panneaux solaires n’ont besoin que du sixième de la quantité de diesel que la station utilisait antérieurement pour fonctionner. Ensemble, les panneaux solaires et le projet Ag1054 se sont traduits par une réduction des émissions et de l’empreinte environnementale à la SRLK, en plus de favoriser un accès continu à des produits frais.
« Ici, sur ces terres, nous ne sommes que des invités. Nous sommes reconnaissants de faire partie de cette collectivité et d’avoir la possibilité de travailler dans cet environnement. La réalisation d’opérations durables s’inscrit donc dans le cadre de nos principes de fonctionnement et prêche par l’exemple quant à la manière dont nous pouvons nous attaquer aux problèmes. » – Kristina Penn
Afin de perpétuer l’héritage du projet Ag1054, l’Institut arctique de l’Amérique du Nord a également amorcé une étude à la SRLK visant à déterminer la faisabilité de l’élimination du diesel et de l’ajout d’un réservoir de stockage d’hydrogène au système d’énergie solaire – une solution de rechange innovatrice qui a d’ailleurs séduit des chercheurs et des chercheuses universitaires à l’échelle du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni. Le plus important, c’est que le projet Ag1054 est une excellente démonstration du leadership nécessaire pour promouvoir l’utilisation de l’énergie renouvelable dans le Nord, et qu’il témoigne des avantages que représente la réalisation d’opérations durables pour la station et les collectivités avoisinantes.
Centre d’études nordiques de Churchill
Le Centre d’études nordiques de Churchill (CENC) est un important établissement de recherche et d’enseignement situé à quelques kilomètres du village de Churchill, au Manitoba. Fondé en 1976, le CENC s’est donné pour mission de comprendre et soutenir le Nord. Je me suis entretenue avec Carley Basler, ancienne coordonnatrice du développement durable au CENC. Carley m’a parlé des efforts ayant permis au CENC d’obtenir la certification LEED de niveau Argent, ainsi que des projets de développement durable en cours, dont le projet Rocket Greens.
En 2011, alors que l’on construisait les nouvelles installations du CENC, on avait mis beaucoup d’effort pour améliorer la durabilité des opérations quotidiennes, telles que le compostage et la biofiltration des eaux usées. Le CENC a également fait l’acquisition de l’entreprise Growcer, qui, à l’instar du projet Ag-1054 de la SRLK, permet de pratiquer la culture hydroponique sur place. Le projet a été baptisé Rocket Greens. Le CENC s’est ensuite doté d’un service de développement durable afin de mettre au point l’initiative Rocket Greens, de gérer d’autres projets de développement durable et de renforcer ses relations avec les collectivités avoisinantes dans le cadre de programmes de développement durable. Le projet Rocket Greens vise principalement à fournir aux habitants de la collectivité de Churchill des produits locaux frais à longueur d’année, et ce, à un coût abordable, améliorant ainsi leur sécurité alimentaire. En effet, l’installation hydroponique produit de 400 à 450 légumes par semaine, ce qui répond adéquatement aux besoins de la collectivité de Churchill.
Le cycle de vie de la production alimentaire du projet Rocket Greens est supervisé du début à la fin par le service de développement durable du CENC, le jardinage communautaire demeurant une priorité. Les membres des collectivités des Premières Nations peuvent visiter le CENC afin de voir en personne comment on cultive les produits et les utilise pour fabriquer des repas dans le cadre du projet Rocket Greens. Le projet Rocket Greens est aussi associé au Programme des guerriers-soignants de Churchill, une initiative destinée aux hommes d’origine autochtone qui font face à des difficultés en matière de santé mentale. Grâce à ce partenariat, le CENC peut rester en contact avec les membres de la collectivité, apporter un soutien aux organismes locaux et permettre aux habitants de la collectivité de participer au projet Rocket Greens.
Le développement durable étant une priorité du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord, nous félicitons la SRLK et le CENC pour leur engagement continu à favoriser la réalisation d’opérations durables et à trouver des solutions au problème de l’insécurité alimentaire.
Auteure: Julia Macpherson, coordonnatrice des communications scientifiques à ArcticNet