La science a besoin des bandes dessinées! Voici pourquoi (et comment faire pour créer une bonne BD)
Les bandes dessinées, ce ne sont pas juste des superhéros ou des chats qui détestent les lundis. On peut aussi en créer pour bien communiquer les résultats d’une étude auprès d’un vaste public. Melody Lynch, gestionnaire de la mobilisation des connaissances à ArcticNet, s’est entretenue avec Hugh Goldring, auteur de bandes dessinées et codirecteur de Petroglyph Studios, au sujet du processus de création d’une bande dessinée aux fins de la diffusion de connaissances scientifiques, l’invitant également à expliquer comment obtenir du financement et s’assurer que la bande dessinée est efficace.
Melody : Bonjour, Hugh, et bienvenue! Merci de vous joindre à nous pour parler de la création de bandes dessinées au profit de la mobilisation des connaissances. D’abord, présentez-nous Petroglyph Studios?
Hugh : Donc, Petroglyph Studios est une entreprise de mobilisation des connaissances, qui appartient à des travailleurs et se spécialise dans la vulgarisation scientifique sous forme de bandes dessinées. Nous avons amorcé l’adaptation d’études scientifiques sous forme de bandes dessinées en 2015, quand nous avons commencé à travailler au projet intitulé The Beast, une bande dessinée qui aborde les thèmes de recherche de Patrick McCurdy, un professeur en communications, qui s’intéresse aux enjeux liés aux changements climatiques. Depuis, nous travaillons avec des chercheurs, des syndicats, des groupes comme Amnistie internationale et des militants afin d’appuyer leur mission.
Melody : Pourquoi la science a-t-elle besoin des bandes dessinées?
Hugh : La première réponse qui me vient à l’esprit est porteuse d’espoir. Qu’il s’agisse d’émissions pour enfants, comme Le Bus magique ou de romans de science-fiction destinés à un public adulte, les arts jouent un rôle important, car ils contribuent à bâtir les prochaines générations de scientifiques. Je pense que la science a besoin des bandes dessinées pour rappeler aux gens que son travail est de trouver des réponses et que c’est ce travail qui transforme notre monde pour le mieux.
Sur une note plus pessimiste, je ne pense pas que la réponse à cette question n’ait jamais été plus évidente. Nous vivons à une époque marquée par une méfiance croissante et un déclin de la culture scientifique. Beaucoup de gens sont sceptiques ou incrédules face à l’idée de se ranger du côté d’une science établie, qu’il s’agisse des changements climatiques ou des vaccins. Non seulement cette ignorance met en péril la vie humaine, mais elle menace également la santé de tous les êtres vivants composant la biosphère.
Les bandes dessinées ne sont qu’une partie de la solution à cet énorme problème. Elles sont amusantes, accessibles et sans prétention. Les gens qui pourraient être sceptiques ou mal à l’aise face à quelque chose de plus formel préféreront feuilleter une bande dessinée. Les gens ne changent pas d’idée comme de chemise – il s’agit plutôt d’une accumulation d’expériences, de liens sociaux et d’information. Et c’est là qu’interviennent les bandes dessinées. Elles jouent aussi un rôle important dans la lutte contre la mésinformation.
« Nous vivons à une époque marquée par une méfiance croissante et un déclin de la culture scientifique…les bandes dessinées jouent un rôle important dans la lutte contre la mésinformation »
Melody : Pourriez-vous nous parler de l’une de vos bandes dessinées préférées parmi celles que vous avez créées et nous expliquer un peu quel impact elle a eu?
Hugh : C’est un choix difficile, parce que je suis très fier de tout le travail que nous avons accompli. Toutefois, il y en a une qui me vient à l’esprit, et c’est une courte bande dessinée que nous avons produite pour les enfants du camp de réfugiés de Bidi Bidi, en Ouganda. La bande dessinée comportait des pages sans texte, mais illustrait des enfants s’entretenant avec des personnes en position d’autorité. On en avait remis un exemplaire à des enfants du camp qui avaient été victimes de violence sexuelle, et ils s’en étaient servis pour expliquer comment ils souhaitaient que les fournisseurs de services s’adressent à eux au sujet de l’expérience qu’ils avaient vécue. Nous avons obtenu des résultats encourageants! Bien entendu, je suis aussi très fier de la bande dessinée que nous avons créée au sujet du GIEC – le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui a été traduite en slovaque et distribuée à des milliers d’enfants d’âge scolaire en Slovaquie.
Melody : Ce sont deux projets extraordinaires destinés à des enfants. Y a-t-il aussi un projet que vous préférez parmi ceux que vous avez créés pour un public adulte?
Hugh : Absolument! Encore ici, c’est un choix difficile, mais je suis très fier de notre bande dessinée intitulée Transitions, qui communique les résultats d’une longue étude portant sur l’expérience de réfugiés réinstallés au Royaume-Uni. La bande dessinée se voulait un outil pour les fournisseurs de services de première ligne, afin qu’ils aient un aperçu des difficultés rencontrées couramment par les personnes qui obtenaient le statut de réfugié, ainsi que des pratiques exemplaires mises en place pour les aider à s’épanouir dans leur nouvelle vie.
Melody : Si des scientifiques souhaitent créer une bande dessinée à partir de leurs travaux, quelles seraient les étapes à suivre?
Hugh : C’est une question à laquelle je pourrais répondre pendant des heures! En résumé, je dirais que les chercheurs choisissent d’abord le projet qu’ils aimeraient adapter sous forme de bande dessinée, puis ils désignent les artistes avec lesquels ils aimeraient collaborer, trouvent les fonds nécessaires, déterminent à qui le projet s’adressera et quelle utilisation on en fera, et établissent le calendrier de production, ce genre de choses. Autrement dit, réunir les personnes pour qui vous souhaitez réaliser le projet pour vous assurer que vous pourrez les consulter tout le long du processus de création, afin de veiller à ce que le produit final leur soit utile. Puis, en collaboration avec les artistes, amorcer le processus même de création de la bande dessinée : remue-méninges, rédaction, mise en forme et illustration. Enfin, on passe à l’étape de l’annonce du produit par la publicité et de sa diffusion. Si le produit à diffuser est long, vous devrez faire affaire avec une maison d’édition. S’il est court, ce sera bon d’élaborer une stratégie de médias sociaux. Si vous souhaitez le diffuser auprès de partenaires communautaires, vous devrez collaborer avec eux.
C’est beaucoup de travail! L’importance de travailler avec un studio comme le nôtre, c’est que nous faisons ce travail depuis 10 ans et que nous sommes familiers avec chacune des étapes du processus de création. Les chercheurs peuvent participer au processus aussi souvent qu’ils le souhaitent, mais, comme ils peuvent avoir d’autres engagements en même temps, certains voudront plutôt y jouer un rôle de supervision. Ils superviseront les travaux d’une étape à l’autre afin de s’assurer que le projet est sur la bonne voie.
Melody : Combien coûte la création d’une bande dessinée?
Hugh : Cela dépend de la durée du projet et des personnes avec qui vous travaillez. Chaque studio établit ses propres tarifs, et certains pourront facturer des frais séparés pour couvrir les frais d’administration ou la modification de dessins. Nous avons un tarif forfaitaire, ainsi qu’un tarif à la page, afin de simplifier les choses lors du processus de demande de subvention. La gestion du projet et l’établissement d’attentes communes sont des éléments clés. Combien d’heures de mise en forme notre tarif à la page inclut-il? Nous proposons alors un tarif forfaitaire parce que nous savons que les subventions sont une source de financement fixe et qu’il est important de réaliser le projet au tarif convenu au départ. Nous invitons les personnes qui souhaitent connaître notre grille tarifaire à communiquer avec nous.
Melody : Ce financement dont vous faites allusion, comment l’obtient-on?
Hugh : Parlez-en à votre spécialiste de la mobilisation des connaissances! Trêve de plaisanterie, j’aimerais vous donner une réponse plus élaborée, mais je pense qu’il existe toutes sortes de moyens. Le plus évident, c’est d’intégrer la mobilisation des connaissances dans toutes les demandes de subvention que vous rédigez. En outre, des universités disposent d’un personnel qui pourra vous aider à obtenir des subventions. Il peut s’agir d’un personnel dédié expressément à la mobilisation des connaissances ou s’occupant de secteurs plus généraux, comme l’avancement. Toute personne désignée par l’université pour appuyer les activités de recherche devrait être en mesure de vous aider.
D’une façon générale, j’ajouterais également les subventions pour des projets de recherche concertés. Qu’il s’agisse d’équipes de recherche ou de partenariats communautaires, les subventions accordées à ces groupes sont souvent beaucoup plus élevées, donc conviennent mieux, par exemple, à la création d’une bande dessinée romanesque. Selon votre domaine de recherche, vous pourriez trouver des partenaires pour adapter vos travaux à des groupes autochtones ou à des organisations de l’industrie ou du secteur tertiaire, comme les organismes sans but lucratif.
Concours de la science à l’art dans l’Arctique:
J’invite d’ailleurs les chercheurs et chercheuses en début de carrière à participer au concours De la science à l’art dans l’Arctique, organisé par APECS Canada en partenariat avec ArcticNet, le Centre d’études nordiques et l’Arctic Research Foundation.
Melody : Comment fait-on pour trouver le bon artiste avec qui travailler et en quoi consiste cette relation de travail?
Hugh : La relation de travail que l’on établit avec un artiste est non seulement axée sur la création, mais aussi sur la collaboration. Il est important que vous travailliez avec une personne que vous aimez ou, du moins, à qui vous faites confiance et que vous respectez. Selon mon expérience, les chercheurs ont tendance à choisir un artiste qui a un style qui leur plaît personnellement. Je comprends les raisons qui les motivent à faire ce choix, mais je pense que le meilleur conseil que je peux leur donner est d’opter pour un style qui plaira à leur public cible. Les chercheurs devraient opter pour un artiste qui possède une expérience de l’adaptation de travaux de recherche sous forme de bandes dessinées. Comme je l’ai mentionné précédemment, il est préférable de travailler avec une équipe composée d’artistes et de rédacteurs. Il y a aussi des artistes qui possèdent des talents rares et qui sont doués à la fois comme auteurs de bandes dessinées et illustrateurs.
Ce qui importe le plus quand on établit une relation de travail, c’est qu’elle soit fondée sur la confiance mutuelle. Nous avons des clients qui ont collaboré à la rédaction des textes, alors que d’autres se sont contentés de superviser notre travail et de vérifier s’il rendait bien leurs travaux de recherche. Nous estimons que ces deux façons de faire sont aussi importantes l’une que l’autre!
Liste des artistes
ArcticNet a dressé une liste des artistes disposés à collaborer avec des chercheurs à des projets de mobilisation des connaissances. Si vous souhaitez faire appel aux services d’un artiste, jetez-y un œil! Si vous êtes un ou une artiste et souhaitez que votre nom figure sur notre site Web, veuillez envoyer un courriel à melody.lynch@arcticnet.ulaval.ca.
Melody : Quelles sont les conditions pour qu’une bande dessinée soit efficace?
Hugh : Pour qu’une bande dessinée soit efficace, elle doit transmettre un message clair, afficher un style artistique attrayant et cohérent, et reposer sur un concept fort. Elle doit obéir à un ensemble de critères. En mobilisation des connaissances, la bande dessinée aura bien plus d’impact justement si elle ne s’apparente pas à de la mobilisation de connaissances. La bande dessinée est une forme d’expression artistique. L’artiste y intègre les thèmes et les données de recherche si adroitement que les lecteurs ne se rendent pas compte que la bande dessinée a été créée dans un but éducatif.
Les sentiments ont ce pouvoir d’influencer que l’information n’a pas toujours. Une bande dessinée qui suscite de vives émotions peut avoir des effets réels. Par exemple, les travaux de recherche pourraient révéler une augmentation statistique des éclosions de rougeole attribuable à une diminution des taux de vaccination. Vous pouvez raconter cette histoire, ou raconter celle d’un parent dont l’enfant est décédé de la rougeole. L’une s’enracinera plus profondément dans la conscience du lecteur que l’autre. Une bonne bande dessinée suscite la réflexion. Une bande dessinée exceptionnelle provoque des émotions.
« Une bonne bande dessinée suscite la réflexion. Une bande dessinée exceptionnelle provoque des émotions. »
Melody : Comment mesure-t-on l’impact d’une bande dessinée?
Hugh : Cela dépend beaucoup du public cible et du moyen de diffusion. Si l’on diffuse la bande dessinée sur les médias sociaux, on peut alors utiliser des outils pour déterminer combien de personnes on a rejointes. Si on la diffuse en version imprimée conventionnelle, la maison d’édition enregistrera alors un chiffre d’affaires et pourra vous dire si la bande dessinée a été utilisée comme outil pédagogique. Si vous travaillez dans une collectivité autochtone et que vous créez une bande dessinée avec et pour cette collectivité, vous pourriez demander aux membres de cette collectivité en quoi elle leur a été utile.
Il peut être difficile de savoir; il nous est arrivé parfois de découvrir que notre bande dessinée avait été utilisée comme outil pédagogique, que des militants s’en étaient servis ou qu’on l’avait incluse dans une campagne non associée à notre travail. Notre première bande dessinée, intitulée Dogs: A Webcomic History of the North, portait sur l’Arctique. Et c’est l’auteure, enseignante et militante Chelsea Vowell qui s’en est servie en classe pour discuter de l’abattage de chiens de traîneau au Nunavik avec ses élèves inuits. Notre bande dessinée a eu des répercussions profondes et inattendues – le genre de résultat auquel nous aspirons.
Si vous avez des questions concernant la création d’une bande dessinée à partir de travaux de recherche, n’hésitez pas à communiquer avec Hugh Goldring chez Petroglyph Studios ou avec Melody Lynch, gestionnaire de la mobilisation des connaissances à ArcticNet.

Melody Lynch
Gestionnaire de la mobilisation des connaissances d'ArcticNet / ArcticNet Knowledge Mobilization Manager